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L’IMPOSTURE

avec tant d’art, et qui dévora ce qu’elle put atteindre de cette victime difficile et réservée. Elle assista, sans pitié, à l’incessante dégradation du misérable envahi par la graisse, étouffé par une obésité monstrueuse, et attendit impatiemment la mort pour ouvrir les secrétaires et cambrioler les dossiers. Mais elle n’apprit jamais rien.

M. Pernichon attendit vingt minutes. L’immense appartement, loué depuis peu, gardait les traces d’une installation récente et hâtive, la couleur des papiers, l’odeur de colle et de peinture fraîche, et cette autre odeur du molleton des draperies neuves. Le salon était encore tel que l’avaient laissé les invités à l’instant de leur brusque départ, et son extrême désordre semblait près de trahir un secret, comme si les choses inanimées eussent retracé, avec une implacable précision, dans leur immobilité sinistre, quelques-uns de ces gestes fugitifs qui, en dépit des paroles, dénoncent les âmes. Et bien que le trouble du malheureux publiciste l’empêchât de faire aucune remarque sérieuse, et qu’il se répétât tout bas, mécaniquement, la phrase d’excuse méditée sur le palier sans pouvoir y changer un mot, il sentit néanmoins confusément que cette suprême tentative était une faute de plus, probablement irréparable.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— Monsieur vous prie de passer dans sa chambre, dit une voix. Il est trop fatigué pour vous recevoir ici.

Pernichon l’entendit mal, mais obéit cependant. Il traversa en aveugle une pièce beaucoup plus sombre,