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L’IMPOSTURE

Voyons ! je n’ai jamais seulement touché Mademoiselle, c’est des histoires. Mais je ne puis pas venir à bout de celle-là. Elle m’a mangé la moitié d’un kilo de sucre : je fais Monsieur juge.

— Assez ! interrompit M. Guérou. Je suis las de toutes ces histoires. Allez-vous-en !

Il se laissa retomber dans son fauteuil, les deux mains croisées sur son ventre, la tête inclinée très bas. D’ailleurs, le silence de Pernichon visiblement l’exaspérait. Enfin, il éclata :

— Vous avez des vices, vous ?

— Moi ? balbutia Pernichon, épouvanté… Oui… non… c’est-à-dire…

— Ce que le vice a de bon, reprit l’auteur de Mécène, subitement calmé, c’est qu’il apprend à haïr l’homme. Tout va bien jusqu’au jour où l’on se hait soi-même. Car enfin, mon garçon, je vous demande : haïr en soi sa propre espèce, n’est-ce pas l’enfer ? Croyez-vous à l’enfer, Pernichon ?

Il n’attendit pas la réponse.

— Moi, j’y crois, fit-il. Tenez, n’allons pas plus loin ; ma maison est un enfer. Vous verrez que je n’aurai pas la consolation de mourir à Paris : je devrai retourner à Barfleur, je m’y fais mieux obéir. Ce que vous venez de voir n’est qu’un épisode entre mille. Depuis que je suis immobilisé par cette abominable enflure, ma pauvre vie reflue à la surface ainsi qu’un égout engorgé. Jules est trop bon : il n’a pas la poigne… Et quelles lettres atroces je reçois, mon ami !

Il s’arrêta, fixa sur son interlocuteur un regard étonné. Sans doute une part de ces paroles mystérieuses restait une énigme pour M. Pernichon, mais il