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Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/196

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L’IMPOSTURE

voilà, il ne se meut plus aisément, le sang est lourd… C’est la circulation qui faut entretenir, et des massages, et tout… Un métier de forçat ! Notez que j’ai des rhumatismes depuis le Maroc. Il y a des jours que je crie comme un gosse, en le maniant. Il est si lourd ! Hé ! malheur ; n’importe ! Sitôt mon temps fini, je suis venu le retrouver : j’aurais marché sur des tessons. J’étais infirmier légionnaire, j’ai appris exprès le massage, à cause… Ainsi ! Oh ! c’est un homme dangereux et qui a une manière de tenir son monde ! Impossible de s’en passer. Il a le vice si aimable ! Et une intelligence !

Il jeta la serviette, disparut, revint aussitôt, avec une robe de flanelle dont il enveloppa son maître avec un soin maternel. M. Pernichon n’osait répondre, ni même lever les yeux. L’auteur de Mécéne, enfin, soupira.

— Si c’était un effet de votre obligeance, dit l’infirmier, je vous demanderais de m’aider un peu à l’asseoir, sans le brusquer… Retour de ces crises, il est d’un susceptible ! C’est à ne pas croire…

Il rassembla les coussins autour des épaules, en glissa deux sous la nuque, ramassa la serviette, et enveloppant une fois encore son maître d’un regard indéfinissable, glissa sur ses savates et s’en fut.

L’Auvergnat rassembla son courage pour ne pas le suivre. La honte seule le retint un moment plutôt que la pitié. Le gros homme respirait lentement, les yeux mi-clos, ses bras étendus jetés au hasard, ainsi que d’un enfant surpris par le sommeil. Son visage était si calme, et le silence autour de ce visage si profond et si familier que Pernichon eût souhaité d’oublier