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L’IMPOSTURE

qu’on ne voit point. La vie de l’abbé Cénabre est, au contraire, un des rares, et peut-être le seul exemple d’un refus absolu. Pour donner idée d’une âme ainsi désertée, rendue stérile, il faut penser à l’enfer où le désespoir même est étale, où l’océan sans rivages n’a ni flux ni reflux. Et certes, on ne peut croire que cet homme étrange fût né sous le signe d’une si effroyable malédiction. Quelque part que sa jeunesse ait faite au mensonge, une heure est venue entre toutes les heures où l’indifférence s’est muée en un renoncement volontaire, délibéré, lucide ; mais on ne connaît pas cette heure.

Il ne la connaissait pas non plus. Avec les symptômes les plus douloureux de son mal avait disparu, en apparence au moins, la colère qui l’avait un moment si puissamment exercé. Elle dormait. Sa conscience d’ailleurs ne formulait aucun reproche, et il ne sentait toujours aucun remords. La blessure s’était refermée, dès qu’il avait osé se regarder en face, se définir une fois pour toutes. Il ne croyait plus. Il avait totalement perdu la foi. Sa grande adresse, car la ruse chez lui n’est pas inégale à la force, avait été de résister à la tentation de retarder indéfiniment l’opération nécessaire, en ne rejetant pas tout à fait des symboles préalablement vidés de toute substance. Il avait rompu le contact, et de telle manière, que le retour fût impossible, ne se pût même pas concevoir. « Le sens métaphysique, a-t-il avoué un jour, est chez moi comme aboli. » Et ce n’était pas assez dire. Un petit nombre de ceux qui lui ressemblent ont su s’arracher aux douceurs d’un spiritualisme nuancé pour atteindre aux rivages plus amers de l’agnosticisme. Là encore, à