Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/207

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
197
L’IMPOSTURE

de son état dans un vain zèle, mais ponctuellement, avec une dignité accrue, un sérieux, une tristesse même qui eût dérouté les plus perspicaces. Ainsi célébrait-il chaque matin le sacrifice de la messe à la chapelle des sœurs de Marie, et le vieux sacristain qui l’assistait depuis tant d’années ne l’avait jamais vu si recueilli. Le cinquième tome des Mystiques florentins venait de paraître, et rien ne distinguait ce livre de ceux qui l’avaient précédé, sinon peut-être une méthode de critique plus prudente, une plus scrupuleuse objectivité. Un certain persiflage dans la discussion des points contestés, une veine comique un peu sombre, les impatiences et des insolences ne s’y retrouvaient pas. L’imprimatur avait été accordé dans le délai le plus court, et il avait néanmoins reçu, comme d’habitude, les félicitations d’un grand nombre de jeunes prêtres qu’enthousiasmait sa réputation de hardiesse et ce qu’ils appelaient dans un jargon naïf, et aussi par un détour habile, sa modernité. Le vrai est qu’il avait écrit les derniers chapitres en grande hâte, pressé seulement d’en finir. Son goût de la controverse avait disparu comme par enchantement, avec les derniers scrupules de sa conscience. Il formait le projet de s’en tenir désormais à son rôle d’historien, d’utiliser ses fiches. Il attendait.

Il attendait, mais non pas comme on pourrait croire, l’un de ces événements imprévus qui rétablissent tout à coup l’équilibre d’une vie bouleversée, mettent d’accord les apparences et la réalité, consacrent un mensonge. Non, il n’attendait rien de tel. Sa fierté était grande, au contraire, d’avoir réussi à renouer avec les habitudes anciennes sans rien briser de leur réseau