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L’IMPOSTURE

Au traînement des semelles sur l’asphalte, il mesurait l’épuisement du malheureux, il entendait dans le silence son halètement rageur, obstiné. Puis il ne l’entendit plus. Alors, tournant la tête, il vit la silhouette grotesque, au ras du trottoir, dans un pan d’ombre, immobile. Et il revint doucement vers elle à petits pas.

– Voilà ce qu’on gagne à faire le sot, dit-il. Je voudrais que la leçon, du moins, vous servît. Il ne vous en aura coûté qu’une petite course inutile. Ce n’est pas acheter trop cher le conseil d’être désormais moins bavard, moins empressé de prendre, et plus poli… Êtes-vous vraiment si essoufflé ?

— Oui, patron, fit le voyou (d’ailleurs sans l’ombre de rancune). Seulement le coffre est bon (il frappa sa maigre poitrine). C’est mon nerf, toujours mon nerf ! Il me tire jusque sur le cœur, cet animal-là. Bon Dieu de bon Dieu ! – Ah ! patron !

Il prit le billet de cent francs entre les doigts de l’abbé Cénabre et le glissa sous sa chemise, à même sa peau. Puis il rassembla les talons, fit le salut militaire, et cria : Fixe !

— Je vous devais cette sorte d’indemnité, dit le prêtre. Me voilà quitte. Vous ne recevrez pas un sou de plus de moi, sous aucun prétexte, retenez-le bien. Inutile de m’accoster désormais : je vous remettrai sans discussion entre les mains du premier sergent de ville venu. Avez-vous compris ?

— On sait vivre, répondit mélancoliquement le vieux pitre. Il accompagna cette déclaration résignée d’une grimace inexprimable.

— Un mot encore, continua l’abbé Cénabre, un