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Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/250

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L’IMPOSTURE

— Et d’ailleurs, cela vous soulagera, mon ami.

— Possible, dit l’homme.

Il avança encore du même pas craintif, avec de grands soupirs, les yeux fixés au sol, peut-être pour continuer d’y chercher dans la poussière quelques-uns des débris épars du passé si curieusement aboli, anéanti, perdu comme un navire… Puis il s’arrêta découragé.

— Ça voudrait venir, dit-il, mais ça ne peut pas.

L’abbé Cénabre joua la surprise.

— Sans charre, reprit le malheureux, je ne peux pas remonter la côte, c’est trop dur. Faut croire que je l’ai descendue d’un seul coup, sur le derrière. Vous rigolez ? Une supposition que j’aye tué ou volé, je me souviendrais, ça ferait corps. Mais je n’ai jamais eu la santé à faire le mariolle. Mes occases, à moi, je les cherche dans les poubelles. Et pour les combines, ah ! nom de Dieu, voilà le hic ! Je fais ce qu’on veut, je dis ce qu’on demande, on me tripote pareil une poupée en mastic, je change de peau. Vous pensez que je raconte encore des blagues ? J’ai rien à moi, parole d’honneur ! Dès qu’on n’a pas la force, faut être malin, faut se laisser manger. Il y a des ballots qui veulent faire pitié ; c’est un truc qui ne rend pas, c’est un mauvais truc. Je ne m’en ressens pas pour m’asseoir dans les courants d’air et poser au Joseph, à seule fin qu’une vieille pie me refile un rond en sortant de la messe. Le pauvre d’abord — je vous parle et réitère, — ça ne se caresse pas, ça se mange. Rien pour rien. Comprenez-vous ?

— Je commence, fit l’abbé Cénabre, mais vous pouvez continuer ; je comprendrai mieux tout à l’heure.

— J’observe le riche, reprit l’homme errant. Moi,