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L’IMPOSTURE

Il avait donc quitté sa chambre de l’hôtel Saint-Étienne, et loué, tout près de la station du tramway suburbain, le hideux garni qu’il jugeait néanmoins fort décent. Levé avant l’aube, trottant jusqu’au soir par la plaine aride qui fermente sous le soleil d’août, il avait senti dès le premier jour, à sa profonde stupeur, que les forces lui manquaient déjà, que le vieux corps pris au dépourvu allait peut-être refuser sa tâche. Si un tel homme eût été capable de désespoir il se fût dès ce moment effondré. Mais le désespoir n’est pour lui qu’un de ces mots vagues et abstraits, sur lesquels il n’a jamais longtemps arrêté sa pensée. Les âmes si pures sont impuissantes à l’imaginer d’elles-mêmes, elles l’ignorent, du moins jusqu’à ce que la patiente sagacité de la haine ait fini par découvrir quelque imperceptible fissure à leur innocente sérénité.

Il ne connut pas le désespoir, mais une honte amère. Certain de n’avoir jamais rien fait de bon, ni même d’utile, c’est donc ainsi qu’il allait manquer l’occasion unique, inattendue ! D’avouer cette faiblesse à ses supérieurs l’eût tué sur place : il n’y pouvait songer sans une défaillance intolérable. Sa crainte était aussi qu’on la sût trop tôt, qu’on lui refusât la magnifique, la suprême chance de sa déplorable vie. Alors il résolut de fermer sa porte, ne se montra plus, rêvant d’épuiser peut-être sa misère, de la consommer en secret. Vain espoir ! En une semaine, cette solitude héroïque acheva de l’accabler. N’ayant jamais connu d’autre remède à ses peines que de prodiguer à autrui, au plus fort de la tristesse, les étonnantes consolations d’un cœur dévoré de paternité, ce repliement