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L’IMPOSTURE

sur soi-même l’étouffa. Il en faisait parfois l’aveu à la hideuse compagne de son agonie, il tentait de forcer son indifférence stupide, prodiguant dans cette folle entreprise, jetant à pleines mains les puissances sacrées de son être, sa flamme insigne, tout le génie de sa charité. Ainsi achevait-il de se vider de son sang mystique.

Car il croyait s’établir dans la solitude, qu’il s’enfonçait déjà sous les ombres. La chair qu’il avait réduite, domptée avec une si implacable douceur, saisie déjà par le froid éternel, gémissait d’angoisse, et bien qu’une volonté presque surhumaine le retînt encore esclave, elle détachait sournoisement ses liens pour obéir une première fois à la loi de sa nature, pour faire à part son agonie. Cette espèce de plainte monotone, comparable au murmure, dans la nuit lointaine, du troupeau abandonné, humble, incessante, l’amollissait quoiqu’il y fermât d’instinct son âme. Et presque à son insu, il souhaitait le visage d’un ami.

Entre tant de présences désirables, celle de Mlle de Clergerie eût été plus douce à son cœur. La fille de l’historien servile, mort presque centenaire, et qu’on a vu survivre inexplicablement à tant de renommées rivales et haïes qu’il avait patiemment rongées de ses dents laborieuses, infatigables, n’est pour tous à présent qu’un pauvre fantôme évanoui. Le drame obscur dans lequel s’est perdue cette petite vie si claire l’a comme recouverte à jamais d’une nappe de boue, scellée dans un de ces mille faits-divers, au goût ignoble. L’oubli qu’elle avait tellement désiré lui a été ainsi dispensé sous cette forme hideuse, et qu’elle y doit donc dormir en paix !