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L’IMPOSTURE

La tendresse de l’abbé Chevance pour la seule de ces filles, sans doute, qui risquât de lui faire honneur aux yeux du monde était connue de M. de Clergerie, et il n’y pensait pas sans inquiétude, tenant le bonhomme pour original, après l’avoir un moment vanté comme un autre Vincent de Paul. C’est le sort de l’ancien desservant de retenir ainsi l’attention des sots, et leur admiration même, par une simplicité dont ils croient saisir aisément le secret. Qu’une pareille fraîcheur est bonne ! Quelle fleur sauvage dérobée au jardin du Paradis ! Seulement, dès qu’il l’approche de près, le plus grossier ou le plus retors reçoit à l’improviste, avec stupeur ou avec rage, la brusque révélation d’une force mystérieuse à laquelle il ose à peine donner un nom, d’ailleurs toujours choisi à dessein, toujours faux. Ils s’avisent tous à la fois, mais trop tard, que ce prêtre est mal élevé.

M. de Clergerie s’en est avisé comme eux assez vite, et n’a pas célé à sa fille l’amertume de cette déception. Puis il s’est plaint, non sans dignité paternelle, d’avoir à prendre parti en un tel débat, car son autorité, il n’en doute, s’arrête au for interne. Il s’y décide néanmoins : sa conviction est désormais faite. L’abbé Chevance semble un prêtre excellent, ses supérieurs l’estiment, louent son zèle. Mais ce qui mérite d’être loué, ne vaut pas toujours d’être imité sans prudence. Une jeune fille est tenue à plus de réserve que personne, la malveillance la guette. Élire pour directeur un homme qui prête à rire, même innocemment, ne va pas sans risques, qu’une cervelle de vingt ans aurait du mal à imaginer. « Il y a de la présomption dans votre choix, je le crains. » « Prenez donc un autre directeur con-