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L’IMPOSTURE

se déroulait paresseusement, déjà désertée, fenêtres closes. Mais le regard de l’abbé Chevance n’y discernait plus qu’une espèce de danse vaine et cocasse, singulièrement accordée au rythme accéléré de son cœur. Car depuis un moment, quoi qu’il fît pour se reprendre, ce battement monotone, intolérable, l’absorbait tout entier. Ce qui lui restait de vie consciente était comme inexplicablement suspendue au furieux bondissement de ses artères. À peine reformé, au prix d’un effort inouï, dans sa pauvre cervelle confuse, le silence était aussitôt brisé, mis en pièces, émietté, par l’inexorable cadence dont l’imagination affolée répercutait l’écho à travers le réseau douloureux des nerfs. En vain étreignait-il la poitrine sonore, le corps exténué vibrait jusqu’à sa dernière fibre, avec de merveilleuses reprises, des silences étranges, des trous noirs où sombrait d’un seul coup l’angoisse glacée, tout un jeu de feintes subtiles, d’attaques brusques, de rémissions perfides, qui prenait la volonté en défaut, l’épuisait en violences inutiles, l’arrachait de l’âme par morceaux… — « Ce n’est qu’une palpitation, une simple palpitation », répétait-il à voix haute, avec ce doux entêtement qui l’avait si souvent secouru au long d’une vie pleine d’amertume. Mais la parole illusoire, à peine articulée, l’obsession revenait plus forte qu’avant. Bien plus, elle gagnait tous les sens, un par un. Il semblait parfois que le battement ridicule s’accélérât, jusqu’à n’être plus qu’un seul bourdonnement d’abord grave, puis aigu, qui à la limite de l’échelle des sons, crevait en mille bulles d’un rouge aveuglant. L’illusion était si cruelle que le malheureux serrait les doigts de toutes ses forces pour échap-