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Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/296

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L’IMPOSTURE

per à la tentation de saisir ces globes mystérieux, de les palper, d’éprouver leur résistance élastique. Alors il jetait furieusement sa tête dans l’angle capitonné, implorait, du même gémissement, le silence et la nuit… La résolution qu’il avait prise, l’acte qu’il avait juré d’accomplir, coûte que coûte, l’idée en subsistait sans doute quelque part, dans un coin secret de la mémoire, mais c’était comme une figure voilée ; méconnaissable, immobile dans l’écœurant tourbillon du vertige, et il n’osait d’ailleurs l’interroger de peur qu’elle ne restât muette, qu’elle se détournât de lui en silence, emportant avec elle un bien plus précieux que la vie, à jamais… Ne pas perdre en un moment la chance suprême !… Quelle chance ? La chance de qui ?… Car dans le désordre de sa raison, une humble consolation lui était venue, tombée du ciel, angélique. Il savait, il était sûr de tenir entre ses vieilles mains non pas son propre salut, mais le salut d’autrui, d’un autre homme plus malheureux, plus abandonné que lui-même… Quel homme ?… Ah ! la réponse viendrait à temps ! Il avait oublié le nom, il ne distinguait pas le visage à travers tant de signes étranges, mais il allait vers celui-là ; il courait à son secours, il le presserait bientôt sur son cœur ! Par un phénomène singulier — non pas si rare — le délire partiel laissait intact tel souvenir, telle image récente, tel pan du passé, comme dans un brouillard épais l’arête d’un toit, l’angle d’un mur, une fenêtre solitaire. Mais il était incapable encore de relier ces souvenirs entre eux, selon les lois d’une perspective familière. Ils se présentaient un à un, s’éloignaient de même, reparaissaient tout à coup. Parfois même les mots précé-