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L’IMPOSTURE

primer, nulle prière même, du moins humaine, n’en eût su porter le témoignage à Dieu, car une telle certitude rayonnait bien au-dessus du misérable corps appesanti, bien au-delà du monde des symboles et des figures. Il ne distinguait plus, à travers ses doigts, qu’un mince filet de lumière pâle, glissant sur la pierre ; mais l’illustre église l’avait déjà reçu dans son ombre, elle était près de lui, familière, ses puissantes racines plongeant au cœur de la ville, indestructible. Que de fois, levé avant l’aube, il l’avait vue, jadis, de ses yeux alors vivants, de son vrai regard d’homme, toute nue et dorée dans le soleil, sévère et pure ! Mais il s’éloignait sans comprendre, parce que si sûr qu’il fût déjà d’être un serviteur maladroit, de petit service, il lui restait au moins la force de ses bras, et que cette force même n’est plus. Il n’est plus rien. Il peut entrer sans effort, comme de plain-pied à jamais, dans la grande simplicité de Dieu.

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— « Retirez la cuvette, dit l’homme aux mains rouges. C’est inutile. Le sang ne coule plus. »

Il essuie lentement ses doigts, un par un, puis se penche tout à coup, tâte gauchement le drap, pour retrouver son binocle.

La fenêtre blanchit à peine. Une bougie brûle encore sur la cheminée. La chambre s’emplit d’une rumeur légère, qui va s’affaiblissant.

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Les genoux de l’abbé Chevance heurtent encore rudement la pierre… En vain, il a saisi au vol l’un des barreaux de fer et s’y cramponne. Une dernière secousse le lui arrache des mains… L’immense boulevard