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Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/304

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L’IMPOSTURE

de sa pitié le portait toujours vers l’ami inconnu, dont le péril surpassait le sien. La pire angoisse, au lieu de le briser, resserrait ce lien fraternel. Le suprême secret du vieux prêtre était un secret d’amour.

À la fin, il cessa de lutter, moins découragé que vaincu. Dans le désordre de la conscience, la volonté, jusqu’à ce moment tendue à la limite de son effort, se relâchait aussi, demandait grâce. Il croyait sentir, sous le pariétal, sa cervelle douloureuse, pareille au moignon d’un membre amputé. Sa faiblesse était extrême. Pour se tenir debout, il devait s’appuyer de tout son poids sur la grille, heurtant des genoux le rebord de pierre. Dégageant ainsi sa main gauche, il l’appuya sur ses yeux, et le plus silencieusement possible, regardant avec terreur croître et décroître au mur l’ombre des passants, il pleura.

Il pleura comme pleurent parfois les enfants, non par lassitude ou dépit, mais seulement parce qu’il faut pleurer, parce que c’est la seule réponse efficace à certaines contradictions plus féroces, à certaines incompatibilités essentielles de la vie, simplement enfin parce que l’injustice existe, et qu’il est vain de la nier… Les lèvres usées retrouvaient d’instinct la même grimace puérile, ses vieilles épaules le même geste d’impuissance naïve, avouée, sans remède. Et c’était vrai qu’il ne pouvait plus rien, ni pour lui-même, ni pour autrui, consommant le reste de ses forces dans une lutte inutile pour ne pas tomber là, donner le dernier scandale d’une agonie publique, parmi les passants curieux. Ce sentiment d’impuissance ineffable, d’humiliation infinie, baignait son cœur. Nulle parole n’eût su l’ex-