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L’IMPOSTURE

D’où vient cette colère subite ? C’est que de la vérité violentée, comme l’odeur dénonce un cadavre, à travers les mots menteurs sourd une atroce ironie, pour tout autre indiscernable, mais dont l’orgueil de l’abbé Cénabre connaît cependant la morsure. Anxieux de se fuir, d’ailleurs épris au fond de ces personnages imaginaires qu’il substitue presque inconsciemment aux vrais, qu’il s’efforce de croire vrais, au terme de sa route oblique, hélas ! il ne rencontre que lui, toujours lui. Ce qui manque à ses saints lui a été, justement, refusé. Chaque effort pour le masquer découvre un peu mieux sa propre déficience. Que dire ?… Pour donner quelque réalité à ces fantômes, il s’est dépouillé de son bien, des précieux mensonges qui l’eussent déguisé, qui en déguisèrent tant d’autres, jusqu’à la fin… Il se voit nu.

Il s’approche encore de la fenêtre, appuie sur les vitres son front têtu. Le vent souffle au carrefour. La rue est vide et sonore. Il s’écarte avec dégoût.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Alors… Cela vint lentement, posément, gagna lentement son niveau. Jamais les choses de rien ne le retinrent avec plus de douceur qu’en cet instant solennel. Il ferma les rideaux, alluma sa lampe de chevet, disposa minutieusement ses vêtements pour la nuit. Il jouissait de ce délai avec un cœur étranger, une joie grave, silencieuse. Son pas sur le tapis, le choc d’un verre sur le marbre de la cheminée, son souffle même un peu précipité par l’effort retinrent son attention, délicieusement, étroitement. Il se contemplait une dernière fois dans le décor des appa-