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Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/51

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L’IMPOSTURE

Notre-Dame des Victoires. Il lui en sut un gré infini. Dans ce rôle obscur, ce qui avait été le curé de Costerel-sur-Meuse acheva de se défaire aux yeux des hommes, disparut. La timidité extraordinaire, un moment réprimée par les responsabilités d’un petit état, s’accrut de jour en jour, devint une infirmité touchante et ridicule, dont le monde s’amusa. Elle était sa croix sans doute, mais toute croix est un refuge. Ce travers ridicule masquait aux yeux de tous une hardiesse dans les voies spirituelles, un sens extraordinaire de la grâce de Dieu. Timidité non point seulement physique, comme il arrive, mais terreur véritable du jugement d’autrui, de son attention même. Si soigneusement qu’il s’efforçât de passer inaperçu, d’effacer derrière lui sa trace, les rencontres inattendues de la vie parisienne le jetaient dans la consternation : que de confrères de son ancien diocèse, où il avait laissé la réputation d’un brave homme inoffensif, le mirent ainsi à la torture ! Car il n’était pas loin d’imaginer ne devoir qu’à la protection de l’abbé Cénabre d’être toléré à la dernière place, dans les rangs de ce clergé parisien, si instruit, si raffiné, dont il ne parlait jamais qu’avec une réserve comique.

Cette réserve, à la longue, parut suspecte. Les uns la tinrent pour un signe d’indigence intellectuelle, les autres y virent une réprobation déguisée. C’est que d’année en année, le rayonnement de son âme singulière allait s’élargissant : il était moins facile de l’ignorer. L’excès de sa prudence, même avait fini par créer autour de lui une légende, qu’entretinrent ses ruses innocentes. Ainsi, maintenu hors de la hiérarchie paroissiale régulière, familier des besognes