Aller au contenu

Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/52

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
42
L’IMPOSTURE

les plus serviles, en toute occasion maître-Jacques et bon à toutes fins, le pauvre curé de Costerel-sur-Meuse avait néanmoins obtenu de suppléer au confessionnal quelques-uns de ses brillants collègues, puis peu à peu, suppléant toujours, il en était venu à y passer le plus clair de son temps. Sa crainte avait d’abord été grande de paraître ainsi léser des droits établis, car comment ne pas courir le risque d’attirer par devers soi une pieuse clientèle, les pénitents de conséquence, infidèlement détournés de leurs directeurs légitimes ? Jamais prédicateur à la mode, enragé de succès mondains, ne témoigna d’autant de persévérance et de zèle à séduire ses belles pécheresses que l’ancien desservant à trouver et retenir les plus délaissées, les moins enviables brebis, les plus diffamées du troupeau. Cuisinières matinales, le panier au bras, petites modistes à midi craquant les noix du dessert, deux sous à la main pour le tronc de saint Antoine de Padoue, dévotes à profil de jument, vieillards humbles et calamiteux, collégiens, transfuges de M. l’Aumônier, il recueillit tout le cœur plein de joie, rassuré par la médiocrité du butin. Hélas ! si les pénitents d’occasion ne furent pas autrement remarqués, les malicieux vicaires eurent vite fait de reconnaître, parmi les habitués de l’abbé Chevance, quelques-unes de ces maniaques, amusement et terreur des paroisses, démangées de fautes imaginaires, affamées d’un humble ragoût sacrilège, et qu’on voit rechercher avec mélancolie le confesseur sévère, comme leurs sœurs méconnues l’amant qui les rosse. On en sourit d’abord. Puis, les plus folles écartées, le curé de Costerel-sur-Meuse, parmi ses infirmes et ses déchus, s’éclaira d’une lumière étrange et surnaturelle, difficile