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Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/53

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L’IMPOSTURE

à pardonner. Le scandale qu’il avait fui si loin, mais pourquoi il était né sans doute, le venait chercher de nouveau jusque dans sa mansarde. Un bel esprit lui donna même un nom ; il l’appela le « confesseur de bonnes ». Le mot fit fortune ; il courut les salons bien pensants. L’historien Aynard de Clergerie pensa même s’intéresser un moment à ce vieil original, et se le fit envoyer, sous un prétexte subtil, par un vicaire général de ses amis auquel l’infortuné prêtre n’aurait certes rien osé refuser. Puis la timidité, la politesse un peu basse du bonhomme finit par décourager sa bienveillance. La disgrâce eût même été complète, sans la protection, jugée indiscrète, de Mlle Chantal, fille de l’éminent auteur de l’Église du douzième siècle.

L’abbé Cénabre alla ouvrir la porte à tâtons, posa la main sur le bras du visiteur, et l’introduisit dans sa chambre, en silence. Ce silence acheva de déconcerter le confesseur des bonnes. N’ayant pas osé prendre la parole le premier, redoutant d’avoir ainsi manqué à un devoir élémentaire, plus anxieux encore d’une entrevue si mystérieuse, à une telle heure de la nuit, il osait à peine lever les yeux sur son protecteur, dont la tenue singulière lui était un tourment de plus. Le chanoine, en effet, avait jeté sur ses épaules un manteau fourré, mais ayant négligé de passer dessous sa soutane, il offrait au regard effaré du curé de Costerel-sur-Meuse ses fortes jambes gainées d’une culotte noire, les pieds nus dans des pantoufles. Le manteau ouvert découvrait aussi le torse massif, sous la chemise.

— Asseyez-vous, dit l’abbé Cénabre, avec une certaine douceur, asseyez-vous, et pardonnez-moi d’abord