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L’IMPOSTURE

toire, le rôle que j’aurai tenu, on parlera de moi de nouveau — qui sait ? — on finira par se lasser de mes folies, du scandale… J’ai payé si cher, monsieur le chanoine, une erreur de ma jeunesse, une faute de tact !… Je ne reviendrai pas sur ce malheureux sujet, je vous dirai simplement : ne me mettez pas en cause par jeu ! N’ajoutez pas à mes peines !… si je perds la situation si honorable, si avantageuse… qu’on a bien voulu m’accorder dans un diocèse qui n’est pas le mien, où l’on compte tant de valeurs… que deviendrai-je ? Ah ! mon respectable ami, je le sens, je l’avoue ! Depuis quelques mois je commets des imprudences, je me laisse mettre en avant, je tente sottise sur sottise… Ne me les faites pas payer trop cher !

Rien ne saurait rendre l’expression du regard dont l’abbé Cénabre enveloppa le vieillard suppliant. Puis il haussa violemment les épaules.

— Vous me croyez capable d’étranges petitesses, dit-il. Je regrette de vous avoir tellement bouleversé. Convenez cependant que je me suis bien avancé pour pouvoir, maintenant, reculer ? D’ailleurs je me tiens toujours à un premier choix que j’ai fait. Oui — si étrange que cela vous paraisse — j’ai besoin de vous dans une des circonstances les plus graves, je puis dire les plus tragiques de ma vie… Une terrible, décisive épreuve, un trouble…

Mais il s’interrompit brusquement comme pour mieux voir, à son inexprimable surprise, l’ancien curé de Costerel-sur-Meuse qui, poussant discrètement vers lui le prie-Dieu (de l’air d’un homme qui ne se dérobera plus), disait avec un calme apparent, bien que de grosses gouttes de sueur perlassent à son front :