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L’IMPOSTURE

— S’il en est ainsi, monsieur le chanoine, je vous écoute.

Puis il fit le signe de la croix.

Une colère à peine contenue gronda dans la voix de l’abbé Cénabre.

— Je ne vous demandais pas de m’entendre en confession, mon ami. Ne vous pressez pas tant !

Il appuya sur les derniers mots avec intention, et un sourire si cruel que le pauvre prêtre rougit jusqu’à la racine de ses cheveux blancs. Et néanmoins son humble regard brilla tout à coup, d’une assurance sacrée.

— Je ne puis que cela pour vous, fit-il de sa voix toujours tremblante. Par moi-même je ne suis rien : laissez-moi céder la place à Dieu. Je ne ferai pas la folie de me fier à mes propres lumières. Non ! je ne commettrai pas cette folie !

Il tira de sa poche son gros mouchoir de coton, et s’essuya fébrilement le front et les joues.

La forte main de l’abbé Cénabre pressait son épaule et il parut fléchir sous l’étreinte.

— Monsieur, dit le prêtre, si vous craignez pour votre repos, et de vous compromettre, allez-vous-en !

— Oh ! monsieur le chanoine, s’écria l’abbé Chevance les yeux pleins de larmes, je n’ai pas mérité cela.

Pour la première fois peut-être, depuis tant d’années, le pauvre homme sentit quelque chose qui ressemblait au mouvement d’un juste orgueil offensé. Une seconde, il eut conscience de sa force, il en sentit l’élan irrésistible. Toutefois, dans l’innocence de son cœur, il s’attendait plutôt à la confidence de quelque faute