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L’IMPOSTURE

grave, dont l’aveu eût été trop difficile fait à un autre que lui. Et quelle faute l’eût trouvé rétif ? Quelle boue l’eût rebuté ? Déjà sa main se levait pour bénir, et la miséricorde divine dont il était plein frémissait dans sa paume, confondue à l’effusion de sa propre vie.

D’ailleurs, l’humble supplication de son regard était telle, que l’abbé Cénabre y répondit malgré lui.

— J’ai perdu la foi ! dit-il.

Et il ajouta aussitôt d’un accent beaucoup plus calme :

— Je me suis débattu cette nuit dans des ténèbres exceptionnelles. J’en suis à ne pouvoir remettre une décision irrévocable, que la simple honnêteté intellectuelle impose… À la question qui m’est faite, esquivée si longtemps, je dois répondre loyalement par oui ou par non.

Il parlait ainsi en marchant de long en large, tête basse. Au dernier mot, il s’arrêta face à son interlocuteur. Le visage candide de l’abbé Chevance exprimait un soulagement infini. Fut-ce la déception d’un coup manqué ?… Fut-ce la confusion de s’être ainsi découvert pour rien ?… L’abbé Cénabre pâlit :

— Que n’avez-vous parlé plus tôt ? disait l’autre de sa voix douce. Qui peut se croire à l’abri de cette sorte de tribulation ? Moi-même… Mais une intelligence comme la vôtre l’éprouve sans doute plus vivement. Dans une pareille conjoncture, se débattre est vain : on ne peut pas grand’chose pour soi-même. Laissez-vous apaiser, mon cher, mon bien-aimé maître et ami. Laissez Dieu revenir de lui-même : je m’en vais prier pour vous.

Et il chercha son chapeau sur le lit, se tourna vers