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Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/80

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L’IMPOSTURE

paradis. Continuant à parler à voix basse, entrecoupée du même rire incompréhensible, il déclamait pour lui seul les pages mieux venues. Son goût avait toujours été grand de surprendre quelques-uns de ces prêtres édifiants dont le zèle s’écoule intarissablement à travers d’illisibles livres. Était-ce le goût de les surprendre, eux, ou l’inaccessible sainteté ? Mais il ne pensait pas avoir ressenti jusqu’alors une si avide impatience, une possession si parfaite, une lucidité plus aiguë.

Qui l’eût vu, au rouge reflet de la lampe posée loin, le blême clair de lune dans les vitres, d’un pas calme et lourd, ses fortes épaules roulant imperceptiblement sous l’étoffe tendue de la soutane, et les puissantes racines de sa mâchoire jusqu’à la nuque impavide, eussent envié cette puissance tranquille, pourtant déjà détruite au dedans, frappée de mort… Mais qu’ai-je à rire ? se dit-il tout à coup. Et à cette minute, bien qu’encore obscurément, l’accent de son rire l’étonna.

Ce fut alors qu’il se dirigea obliquement vers la porte, et en passant souffla la lampe. Le faux jour livide hésita d’abord, rampa le long des hauts rideaux, puis ainsi qu’une bête sournoise, se couchant sur le sol au pied de la fenêtre froide et blafarde, refusa d’aller plus loin. Le regard de l’abbé Cénabre, en s’abaissant, rencontra quelque chose à terre qu’il ne reconnut pas d’abord. Il ramassa cette chose, et la tint au bout de ses doigts, à la hauteur de ses yeux, avec une grande surprise et un peu de dégoût. C’était le rabat de l’abbé Chevance.

Que dire ? Cela n’était rien. Et en effet, le chanoine ne vit qu’un moment le carré de drap noir. Un pro-