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L’IMPOSTURE

blème venait de se poser, qui semblait tout remettre en question, du même coup… Problème est un gros mot sans doute : une objection plutôt fut élevée, d’abord timide, puis pressante de plus en plus, puis dans la conscience encore troublée, d’une redoutable immobilité. Bien qu’il l’ignorât, l’abbé Cénabre en était à ce point où l’équilibre intérieur serait un miracle de coïncidences heureuses, d’accords imprévus, où le moindre obstacle lève une vague immense, ainsi qu’un écueil dans la giration de l’eau. Qu’il l’eût voulu ou non, il ne pouvait plus avoir raison d’une pensée ennemie, et il était d’ailleurs impuissant à la fuir.

Sans aucun doute ce rabat s’était détaché au moment où le vieux prêtre avait perdu pied sous la poussée de son formidable adversaire… Il revoyait le corps étendu, la soutane troussée sur le gros bas noir, le gigotement puéril… Pourquoi l’ai-je frappé ?

Une violence si subite, une si extraordinaire dépossession de soi (la mystérieuse fureur disparue) demeurait forcément inexplicable. Quel que fût son désir de retrouver l’état d’indifférence habituel, ou se persuader l’avoir retrouvé, il restait ce petit fait singulier, ce petit fait irréductible. Impossible de ramener les événements de la nuit aux proportions ordinaires, tant que le doute subsisterait. Le calme, l’ironie un peu hautaine, imperturbable de l’abbé Cénabre est connue de tous, et presque déjà légendaire. À ce point de vue la brutale exécution du plaintif Pernichon ne s’expliquait pas aisément. Mais que dire de ce qui l’avait suivi ?

— Pourquoi l’ai-je frappé ? répétait-il, parlant