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L’IMPOSTURE

lampe, inutilisée depuis longtemps, et qu’à sa légèreté, il reconnut vide aussitôt. Enfin il atteignit sur la cheminée un de ses flambeaux à huit branches, d’argent massif, présent de la princesse de Salm, et il en alluma les bougies avec une hâte fébrile. En le reposant sur le drap de son bureau, il s’aperçut que sa main tremblait.

Elle était là, devant lui, la feuille de papier blanc, si désirée ! Elle l’attendait. Il la repoussa. Debout, il feuilletait d’un doigt distrait, le regard errant, sans les lire, les pages couvertes de sa petite écriture hardie, soigneusement ponctuée, terriblement nette. Parfois son attention se fixait sur un mot plus heureux, un paragraphe familier, puis s’en détournait aussi vite. Il eût voulu, il désirait presque inconsciemment n’importe quoi qui romprait le silence, un prétexte plausible, ou l’aube même. Et jamais la nuit ne fut autour de lui si dense et si muette, à peine repoussée au delà du cercle lumineux, embusquée, attentive dans tous les coins d’ombre, aux plis obscurs des rideaux, maîtresse absolue du dehors, de la rue tout à fait déserte, de la ville, à cette heure où la débauche même s’endort.

…Non point tout à fait déserte, ni muette, car tout à coup, un pas sonore, sur le pavé, s’approcha vite, avec une sorte de régularité mécanique, et subitement cessa. Le vide silencieux s’en accrut, ou parut s’en accroître avec une telle promptitude que le chanoine le sentit au fond de sa propre poitrine, eut un bref mouvement de défense… D’une main furieuse, il saisit la page blanche et la jeta rageusement dans la corbeille.

Que dire de sa confusion, de sa honte ? Que dire de