Page:Bernanos - Les Grands Cimetières sous la lune.pdf/49

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la brutalité de leurs réactions. Les imbéciles ont accepté docilement, depuis des siècles, l’enseignement traditionnel de l’Église sur des questions qui, à la vérité, leur apparaissaient comme insolubles. Que la Souffrance ait, ou non, une valeur expiatoire, qu’elle puisse même être aimée, qu’importe là-dessus l’opinion d’un petit nombre d’originaux, puisque le bon sens, comme l’Église, tolère que les gens raisonnables la fuient par tous les moyens ? Certes aucun imbécile n’eût songé jadis à nier le caractère universel de la Douleur, mais la douleur universelle était discrète. Aujourd’hui elle dispose pour se faire entendre, des mêmes puissants moyens que la joie, ou la haine. Les mêmes types qui réduisaient peu à peu, systématiquement les relations de famille au point de s’en tenir à l’échange indispensable des faire-part de naissance, de mariage ou de décès, dans le but de ménager leurs minces réserves de sensibilité affective, ne peuvent plus ouvrir un journal ni tourner le bouton de leur radio sans apprendre des catastrophes. Il est clair que pour échapper à une telle obsession, il ne suffit plus à ces malheureux d’entendre une fois par semaine, à la grand’messe, d’une oreille distraite, l’homélie sur la souffrance d’un brave chanoine bien nourri, avec lequel ils découperont un peu plus tard le gigot dominical. Les imbéciles se sont donc résolument attaqués au problème de la douleur comme à celui de la pauvreté. C’est à la science qu’il appartient de vaincre la douleur, pense l’imbécile dans sa