Page:Bernanos - Les Grands Cimetières sous la lune.pdf/63

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fructueuses, ils ne l’organisaient pas. Qu’ont de commun entre eux, je vous le demande, les pirates plus ou moins consulaires, acharnés à remplir vivement leurs coffres, puis revenant jouir de ces biens mal acquis, finissant par crever de débauche, et tel milliardaire puritain, mélancolique et dyspeptique, capable de faire osciller d’un clin d’œil, d’une signature tracée avec un stylo de cent vingt francs, l’immense fardeau de la misère universelle ? Que dire ? Un traitant du dix-huitième siècle eût été bien incapable d’imaginer ce dernier type d’homme, il lui eût paru absurde, et il l’est en effet, il est le produit hybride, maintenant fixé, de plusieurs espèces très différentes. Vous allez répétant comme des perroquets qu’il est issu de la civilisation capitaliste. Non pas, c’est lui qui l’a faite. Évidemment, il ne s’agit point de plan concerté. C’est un phénomène d’adaptation, de défense. Le mauvais riche d’autrefois, le riche jouisseur et scandaleux, fanfaron, prodigue, ennemi de l’effort, avait presque à lui seul, reçu le choc du christianisme, son irrésistible élan. Sans doute eût-il réussi à subsister dans ce monde chrétien, il n’y eût pas prospéré. Il n’y prospérait pas.

Les hommes du moyen âge n’étaient pas assez vertueux pour dédaigner l’argent, mais ils méprisaient les hommes d’argent. Ils épargnaient un temps le juif parce que le juif draine l’or, comme un abcès de fixation draine le pus. Le moment venu, ils vidaient