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Page:Bernanos - Les Grands Cimetières sous la lune.pdf/95

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SOUS LA LUNE

fête foraine. Les camions étaient gris de la poussière des routes, gris aussi les hommes assis quatre par quatre, les casquettes grises posées de travers et leurs mains allongées sur les pantalons de coutil, bien sagement. On les raflait chaque soir dans les hameaux perdus, à l’heure où ils reviennent des champs ; ils partaient pour le dernier voyage, la chemise collée aux épaules par la sueur, les bras encore pleins du travail de la journée, laissant la soupe servie sur la table et une femme qui arrive trop tard au seuil du jardin, tout essoufflée, avec le petit baluchon serré dans la serviette neuve : A Dios ! recuerdos !

Vous faites du sentiment, me dit-on. Dieu m’en garde ! Je répète simplement, je ne me lasserai pas de répéter que ces gens n’avaient tué ni blessé personne. C’étaient des paysans semblables à ceux que vous connaissez, ou plutôt à ceux que connaissaient vos pères, et auxquels vos pères ont serré la main, car ils ressemblaient beaucoup à ces fortes têtes de nos villages français, formés par la propagande gambettiste, à ces vignerons du Var auxquels le vieux cynique Georges Clemenceau allait porter jadis le message de la Science et du Progrès Humain. Pensez qu’ils venaient de l’avoir, leur république — Viva la republica ! — qu’elle était encore, le 18 juillet 1936 au soir, le régime légal reconnu de tous, acclamé par les militaires, approuvé par les pharmaciens, médecins, maîtres d’école, enfin par tous les intellectuels. « Nous ne dou-