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LE SAINT DE LUMBRES

cœur et ma raison. Je crus pénétrer dans un nouveau monde. Comment reproduire de sang-froid ces phrases singulières où, suppliant et menaçant tour à tour, tantôt pâle de rage, tantôt ruisselant de larmes, avec un accent déchirant, il désespérait du salut des âmes, retraçait leur inutile martyre, s’emportant contre le mal et la mort comme s’il eût serré Satan à la gorge. Satan ! le nom revenait sans cesse sur ses lèvres, et il le prononçait avec un accent extraordinaire, qui vous perçait le cœur. S’il était permis à des yeux humains d’entrevoir l’ange rebelle, à qui la sainte naïveté de nos pères attribuait tant de merveilles, aujourd’hui mieux connues, de telles paroles l’eussent évoqué, car déjà son ombre était entre nous deux, humbles prêtres, dans le petit jardin. Non ! messieurs, un pareil discours ne peut être repris de sang-froid ! Il faudrait entendre cet homme vénérable, transfiguré par l’horreur, et comme transporté de haine, évoquant les souvenirs les plus secrets de son saint ministère, d’effroyables aveux, le travail du péché dans les âmes, et jusqu’aux visages des infortunés, devenus la proie du démon, où son regard visionnaire voyait se retracer ligne à ligne l’agonie de Notre-Seigneur