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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

sur la Croix. Une espèce d’enthousiasme me transportait. Je n’étais plus un de ces ministres de la morale chrétienne mais un homme inspiré, un de ces exorcistes légendaires, prêts à arracher aux puissances du mal les brebis de leur troupeau. Miracle de l’éloquence ! Je prononçais des paroles sans suite, j’aurais voulu m’élancer, braver des dangers, peut-être le martyre. Pour la première fois, il me parut que j’entrevoyais le but véritable de ma vie et la majesté du sacerdoce. Je me jetai, oui, je me jetai aux genoux de M. le curé de Lumbres. Bien plus ! Je pressai entre mes mains les plis de sa pauvre soutane, j’y imprimai mes lèvres, je l’arrosai de mes larmes, et m’écriant, hélas ! dans la surabondance de ma joie, je jetai ces paroles plutôt que je ne les prononçai : « Vous êtes un saint !… Vous êtes un saint !… »


Non pas une fois, mais vingt fois le chanoine terrassé répéta ce mot, et il le bégayait avec ivresse. La terre brûlait ses gros souliers, l’horizon tournait comme une roue. Il se sentait plus léger qu’un homme de liège, merveilleusement libre et léger, dans l’air élastique. « Je me crus dégagé des liens mortels, » note-t-il.