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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

— Je ne suis pas un saint, reprend-il. Allons ! laissez-moi dire. Je suis peut-être un réprouvé… Oui ! regardez-moi… Ma vie passée s’éclaire, et je la vois comme un paysage, comme en haut de Chennevières le bourg du Pin, sous mes pieds. Je travaillais à me détacher du monde, je le voulais, mais l’autre est plus fort et plus rusé ; il m’aidait à user en moi l’espérance. Comme j’ai souffert, Sabiroux ! Que de fois j’ai ravalé ma salive ! J’entretenais en moi ce dégoût ; c’est comme si j’avais serré sur mon cœur le diable enfant. J’étais à bout de forces quand cette crise a fini de tout briser. Bête que j’étais ! Dieu n’est pas là, Sabiroux !

Il hésite encore, devant l’innocente victime : ce prêtre fleuri, aux yeux candides. Et puis, avec rage, il frappe et redouble :

— Un saint ! Vous avez tous ce mot dans la bouche. Des saints ! savez-vous ce que c’est ? Et vous-même, Sabiroux, retenez ceci ! Le péché entre en nous rarement par force, mais par ruse. Il s’insinue comme l’air. Il n’a ni forme, ni couleur, ni saveur qui lui soit propre, mais il les prend toutes. Il nous use par dedans. Pour quelques misérables qu’il dévore vifs et dont les cris nous épouvantent, que d’autres sont