Page:Bernanos - Sous le soleil de Satan, tome 2, 1926.djvu/145

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
153
LE SAINT DE LUMBRES

Quelle parole fut donc assez forte pour élever si haut ce poids pesant, ou quel miraculeux silence ? Que lui disait-il à l’oreille, ce tragique vieillard, que la tentation remuait alors jusqu’au fond, et qui, repoussé de tous, et de Dieu même, forcé, rendu, se tournait en mourant vers un regard ami ? Mais cela, nous ne le saurons point…

— Ah ! Satan nous tient sous ses pieds, dit-il enfin, d’une voix douce et désarmée.

Le curé de Luzarnes, d’étonnement, bégaye :

— Mon ami, mon frère, je vous ai méconnu… Je ne savais pas… Dieu vous a fait pour être l’honneur du diocèse, de l’Église, de la chaire de Vérité… Et, possédant de si admirables dons, quoi ! vous soupirez encore, vous vous voyez vaincu ! Vous ! Laissez-moi au moins vous exprimer ma reconnaissance, mon émotion, pour le bien que vous m’avez fait, pour l’enthousiasme…

— Vous ne m’avez pas compris, dit simplement le curé de Lumbres.

Il sait qu’il doit se taire, il parlera cependant. La faiblesse a sa logique et sa pente, comme l’héroïsme. Et toutefois le vieil homme hésite, avant de porter ses derniers coups.