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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

refoule la pensée. Nous vivons dans le demi-délire de la délectation morose, coupé d’accès de désespoir lucide. Mais d’année en année les images perdent leur force, nos artères filtrent un sang moins épais, notre machine tourne à vide. Nous remâchons dans la vieillesse des abstractions de collège, qui tenaient de l’ardeur de nos désirs toute leur vertu ; nous répétons des mots non moins épuisés que nous-mêmes ; nous guettons aux yeux des jeunes gens les secrets que nous avons perdus. Ah ! l’épreuve la plus dure est de comparer sans cesse à sa propre déchéance l’ardeur et l’activité d’autrui, comme si nous sentions glisser inutilement sur nous la puissante vague de fond qui ne nous lèvera plus… À quoi bon tenter ce qui ne peut être tenté qu’une fois ? Ce bonhomme de prêtre a fait moins sottement qui s’est retiré de la vie avant que la vie ne se retirât. Sa vieillesse est sans amertume. Ce que nous regrettons de perdre, il souhaite en être au plus tôt délivré ; quand nous nous lamentons de ne plus sentir de pointe au désir, il se flatte d’être moins tenté. Je jurerais qu’à trente ans il s’était fait des félicités de vieillard, sur quoi l’âge n’a pu mordre. Est-il trop tard pour l’imiter ? Un pay-