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LA TENTATION DU DÉSESPOIR

moment où elle avait senti se briser son orgueil : quelque chose fléchit en elle d’un plus irréparable fléchissement, puis s’enfonça d’une fuite obscure. La voix, toujours basse, mais d’un trait vif et brûlant, l’avait comme dépouillée, fibre à fibre. Elle doutait d’être, d’avoir été. Toute abstraction, dans son esprit, prend une forme, et peut être serrée sur la poitrine ou repoussée. Que dire de ce fléchissement de la conscience même ! Elle s’était reconnue dans les siens et, au paroxysme du délire, ne se distinguait plus du troupeau. Quoi ! pas un acte de sa vie qui n’eût ailleurs son double ? Pas une pensée qui lui appartînt en propre, pas un geste qui ne fût dès longtemps tracé ? Non point semblables, mais les mêmes ! Non point répétés, mais uniques. Sans qu’elle pût retracer en paroles intelligibles aucune des évidences qui achevaient de la détruire, elle sentait dans sa misérable petite vie l’immense duperie, le rire immense du dupeur. Chacun de ces ancêtres dérisoires, d’une monotone ignominie, ayant reconnu et flairé en elle son bien, venait le prendre ; elle abandonnait tout. Elle livrait tout et c’était comme si ce troupeau était venu manger dans sa main sa propre vie. Que leur dis-