Page:Bernard - Brutus.djvu/79

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Il connoît pour tes fils combien tu t’intereſſes.
Il veut te reprocher tes indignes foibleſſes,
Leur grace qu’il t’a vû preſt à luy demander.
Toy-même de leur ſort il te fait decider.
Il veut que tu ſois Juge, Et par ce caractere
Il pretend te guerir des foibleſſes de pere.
Reprends donc d’un Conſul toute la dignité ;
De la mort de tes fils voy la neceſſité.
À ce funeſte arreſt ſi tu ne peux ſurvivre,
Ton auſtere devoir n’en eſt pas moins à ſuivre.
Donne d’un noble effort l’exemple glorieux,
Satisfait le Senat, Rome, & meurs à leurs yeux.
Ha ! ſi de la juſtice on ne me voit capable,
Que quand hors d’intereſt je puis eſtre équitable,
Si je ne puis des loix me voyant le ſoûtien,
Verſer le mauvais ſang, quand ce ſang eſt le mien,
Si je détruis ces loix, que j’ay faites moy-même,
Au ſuperbe Tarquin rendons le Diadême.
Et de quel front m’aſſeoir pour juger les Romains,
Lorſque deux criminels ſont ſauvez par mes mains ?
De quel front dérober à de juſtes ſuplices,
Les ſeuls fils du Conſul, d’entre tous les complices ?
Ils ſont tous condamnez, je le ſçay, je l’ay vû.
Faut-il un tel ſecours à ma foible vertu ?
Ha ! Titus, ton remords ſatisfaiſoit ton pere,
Rome ny le Senat n’ont pû s’en ſatisfaire.
Ils ont trop fait ſentir à l’amour paternel,
Qu’un criminel d’Etat, eſt toûjours criminel.
Et ne puis-je prévoir la ſuite dangereuſe
Qu’auroit pour les forfaits ma clemence honteuſe ?
Si je ſauve mes fils, cent traîtres chaque jour
Vont naître autoriſez par mon timide amour.
Prononçons ; il le faut, en vain je delibere.
Où la Loy doit parler, c’eſt au ſang à ſe taire.