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de l’idée à priori et du doute.

juger les actes d’un autre homme et savoir les mobiles qui le font agir, c’est tout différent. Sans doute nous avons devant les yeux les mouvements de cet homme et ses manifestations qui sont, nous en sommes sûrs, les modes d’expression de sa sensibilité et de sa volonté. De plus nous admettons encore qu’il y a un rapport nécessaire entre les actes et leur cause ; mais quelle est cette cause ? Nous ne la sentons pas en nous, nous n’en avons pas conscience comme quand il s’agit de nous-même ; nous sommes donc obligés de l’interpréter et de la supposer d’après les mouvements que nous voyons et les paroles que nous entendons. Alors nous devons contrôler les actes de cet homme les uns par les autres ; nous considérons comment il agit dans telle ou telle circonstance, et, en un mot, nous recourons à la méthode expérimentale. De même quand le savant considère les phénomènes naturels qui l’entourent et qu’il veut les connaître en eux-mêmes et dans leurs rapports mutuels et complexes de causalité, tout critérium intérieur lui fait défaut, et il est obligé d’invoquer l’expérience pour contrôler les suppositions et les raisonnements qu’il fait à leur égard. L’expérience, suivant l’expression de Gœthe, devient alors la seule médiatrice entre l’objectif et le subjectif[1], c’est-à-dire entre le savant et les phénomènes qui l’environnent.

Le raisonnement expérimental est donc le seul que le naturaliste et le médecin puissent employer pour

  1. Gœthe, Œuvres d’histoire naturelle, traduction de M. Ch. Martins. Introduction, p. i.