Page:Bernard - Laodamie, reine d’Épire.djvu/48

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Et ne ſerois-je pas encore trop heureuſe
De ſouffrir de ſes vœux l’apparence trompeuſe ?
Je crains qu’à quelque prix que l’ingrat pût m’aimer,
Mon amour de ſes ſoins ne ſe laiſſât charmer.

ARGIRE.

Pourra-t’il réſiſter à tant d’amour, Madame ?

LA REINE.

Helas, que ne laiſſois-je au moins agir ſon ame !
Si je n’euſſe formé moi-même ſon lien,
Peut-être il m’eût aimée, ou n’auroit aimé rien.
Pour m’obéir peut-être il aima la Princeſſe.
Qu’il me rende ce cœur dont je fus trop maîtreſſe.
Mais quoi ! veux-je en effet l’arracher à ma Sœur,
Une Sœur qui ſur moi fonde tout ſon bonheur ?
D’enlever ſon Amant j’aurois la barbarie ?
Je ſçai ce qu’il inſpire, elle en perdra la vie ;
Elle m’aime, & mon cœur ſoupirant en ſecret
De ſa tendre amitié cent fois a vû l’effet :
Mes douleurs mille fois ont pénetré ſon ame,
Pour l’en récompenſer je vais trahir ſa flâme.
Helas ! je me reproche en vain ma trahiſon,
J’ai gouté de l’eſpoir le dangereux poiſon.
Quand je vois pour mes feux que tout le rend facile,
Je ſens que je me fais un reproche inutile,