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PAUL

plupart des retraites charmantes de ce labyrinthe. Ce rocher dont je viens de vous parler, d’où l’on me voyoit venir de bien loin, s’appeloit la découverte de l’amitié. Paul et Virginie, dans leurs jeux, y avoient planté un bambou, au haut duquel ils élevoient un petit mouchoir blanc pour signaler mon arrivée dès qu’ils m’appercevoient, ainsi qu’on éleve un pavillon sur la montagne voisine, à la vue d’un vaisseau en mer. L’idée me vint de graver une inscription sur la tige de ce roseau. Quelque plaisir que j’aie eu dans mes voyages à voir une statue ou un monument de l’antiquité, j’en ai encore davantage à lire une inscription bien faite ; il me semble alors qu’une voix humaine sorte de la pierre, se fasse entendre à travers les siecles, et s’adressant à l’homme au milieu des déserts, lui dise qu’il n’est pas seul, et que d’autres hommes dans ces mêmes lieux ont senti, pensé, et souffert comme lui : que si cette inscription est de quelque nation ancienne qui ne subsiste plus, elle étend notre ame dans les champs de l’infini, et lui donne le sentiment de son immortalité, en lui montrant qu’une pensée a survécu à la ruine même d’un empire.