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Page:Bernardin de Saint-Pierre - Paul et Virginie, Didot, 1806.djvu/265

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PAUL

On distinguoit, à la lueur fréquente des éclairs, de longues files de nuages épais, sombres, peu élevés, qui s’entassoient vers le milieu de l’isle, et venoient de la mer avec une grande vitesse, quoiqu’on ne sentît pas le moindre vent à terre. Chemin faisant nous crûmes entendre rouler le tonnerre ; mais ayant prêté l’oreille attentivement nous reconnûmes que c’étoient des coups de canon répétés par les échos. Ces coups de canon lointains, joints à l’aspect d’un ciel orageux, me firent frémir. Je ne pouvois douter qu’ils ne fussent les signaux de détresse d’un vaisseau en perdition. Une demi-heure après nous n’entendîmes plus tirer du tout ; et ce silence me parut encore plus effrayant que le bruit lugubre qui l’avoit précédé.

Nous nous hâtions d’avancer sans dire un mot, et sans oser nous communiquer nos inquiétudes. Vers minuit nous arrivâmes tout en nage sur le bord de la mer, au quartier de la Poudre-d’or. Les flots s’y brisoient avec un bruit épouvantable ; ils en couvroient les rochers et les greves d’écume d’un blanc éblouissant et d’étincelles de feu. Malgré les ténebres nous distinguâmes, à ces lueurs phosphoriques, les pirogues des