Page:Bernardin de Saint-Pierre - Paul et Virginie, Didot, 1806.djvu/31

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Moi. Sans doute, et l’un des plus beaux qu’on puisse donner aujourd’hui. Quel est l’homme de loi, par exemple, qui ne seroit plus flatté de passer dans les affaires pour un fameux orateur que pour un bon juge ? La forme est tout, le fond est peu de chose. Celui-ci n’intéresse que les particuliers mis en cause ; celle-là regarde le public, qui donne les réputations. Sachez donc que le rédacteur du feuilleton m’a donné la plus grande des louanges, et qu’il la préféreroit pour lui-même à toutes celles dont on voudroit l’honorer, comme d’être juste, bon logicien, penseur profond, observateur éclairé. Les anciens pensoient à peu près là-dessus comme les modernes. Beaucoup de Romains en faisoient le principal mérite de Cicéron. J’ai ouï dire que ce pere de l’éloquence latine, passant un jour sur la place aux harangues, quelques citoyens oisifs qui s’y promenoient l’entourerent et le prierent de monter à la tribune. « Que voulez-vous que j’y fasse, leur dit-il, je n’ai rien à vous dire. » ? « N’importe, s’écrièrent-ils, parlez-nous toujours. Que nous ayons le plaisir d’entendre vos périodes, si belles, si harmonieuses, qui flattent si délicieusement les oreilles ». Je crois que M. de La Harpe nous a conservé ce beau trait dans son Cours de littérature française. Il le trouvoit admirable, et le citoit comme une preuve du grand goût que les Romains avoient pour l’éloquence.

Mon ami. C’est nous les représenter comme des imbécilles.