Page:Bernardin de Saint-Pierre - Paul et Virginie, Didot, 1806.djvu/57

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édition faite il y a dix-sept ans, dont il ne reste presque plus que le trait. Cette fugacité a été encore plus sensible dans mon dernier dessin. Cette nuit, où il n’y avoit de blanc que le disque de la lune, est devenue, en moins d’un an, un pâle crépuscule : peut-être cet affoiblissement général de teintes a-t-il été produit par la négligence du graveur, qui a exposé ce dessin au soleil. Au reste comme les couleurs à l’huile qu’emploie la peinture sont sujettes aux mêmes inconvénients, il faut plutôt en accuser l’art, qui ne peut atteindre aux procédés de la nature. Le noir du bois d’ébene dure des siecles exposé à l’air ; il en est de même des couleurs des plumes et des poils des animaux. Je me suis permis ici ces légeres observations pour l’utilité générale des artistes et la gloire particuliere de M. Moreau le jeune, dont les dessins sont dignes de passer à la postérité, ainsi que sa réputation. La gravure ne m’a pas donné moins d’embarras que le dessin original ; l’artiste qui avoit entrepris de le graver a employé un procédé nouveau qui ne lui a pas réussi : il m’a rendu, au bout d’un an, ma planche à peine commencée au tiers : j’en ai été pour mes avances ; il a fallu chercher un autre artiste pour l’achever ; mais nul n’a voulu le continuer. Heureusement M. Roger m’a découvert un jeune graveur, M. Prot, plein de zele et de talent, qui l’a recommencée, et l’a mise seul à l’eau forte, au burin et au pointillé en six mois, dans l’état où on la voit aujourd’hui.