Page:Bernardin de Saint-Pierre - Paul et Virginie, Didot, 1806.djvu/56

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faire voile. Marguerite mere de Paul, l’habitant et Marie, accourent hors d’eux-mêmes autour de ce groupe infortuné.

Cette scene déchirante a été dessinée par M. Moreau le jeune, si connu par ses belles et nombreuses compositions qui enrichissent la gravure depuis long-temps : il composa en 1788 les quatre sujets de ma petite édition in-18. On peut voir en leur comparant celui-ci que l’âge joint à un travail assidu perfectionne le goût des artistes. Celui que M. Moreau m’a fourni est d’une chaleur et d’une harmonie qui surpassent peut-être tout ce qu’il a fait de plus beau dans ce genre. Mais l’estime que je porte à ses talents m’engage à le prévenir que l’usage qu’il fait de la cœpia dans ses dessins est peu favorable à leur durée : on sait que la cœpia est une encre naturelle qui sert au poisson qui en porte le nom, à échapper à ses ennemis. Il est mou et sans défense, mais au moindre danger il lance sept ou huit jets de sa liqueur ténébreuse, dont il s’environne comme d’un nuage, et qui le fait disparoître à la vue. Les artistes ont trouvé le moyen d’en faire usage dans les lavis ; ils en tirent des tons plus chauds et plus vaporeux que ceux de l’encre de la Chine. Mais soit qu’en Italie, d’où on nous l’apporte tout préparé, on y mêle quelqu’autre couleur pour le rendre plus roux ; soit qu’il soit naturellement fugace, il est certain que ces belles nuances ne sont pas de durée. J’en ai fait l’expérience dans les quatre dessins originaux de ma petite