Page:Bernardin de Saint-Pierre - Paul et Virginie, Didot, 1806.djvu/75

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( lxiii )

Ce fut l’Océan qui, de siecles en siecles, épuisant ses eaux par d’innombrables productions, éleva en s’abaissant les sommets de ses isles primitives ; et en reculant ses bords, les plaça au sein des continents. Ce sont leurs antiques pyramides qui couronnent à diverses hauteurs les chaînes des montagnes. Les unes sont couvertes de verdure, d’autres sont toutes nues comme aux jours de leur naissance ; d’autres, toujours entourées de neiges et de glaces, semblent au niveau des poles ; d’autres vomissent des tourbillons épais de flammes sulfureuses et bitumineuses, et paroissent avoir leur fondement au niveau des mers qui les alimentent. Les pics du Ténérif et de l’Etna réunissent ce double empire ; et du sein des glaces et des feux versent au loin l’abondance et la fécondité : toutes ces pyramides aëriennes, dont la plupart s’élevent au-dessus de la moyenne région de l’air, ont pour bases les corps marins qui entourerent leurs premiers berceaux. Toutes attirent, aujourd’hui, autour d’elles les vapeurs et les orages de l’atmosphere. Tantôt elles s’en couvrent comme d’un voile, et disparoissent à la vue ; tantôt elles découvrent la tête, ou les flancs de leurs longs obélisques. Si le soleil alors les frappe de ses rayons il les colore d’or et de pourpre, et répand sur leurs robes mobiles toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Elles apparoissent, au sein des tonnerres, comme des divinités bienfaisantes ; les croupes qui les supportent deviennent autant de