Page:Bernardin de Saint-Pierre - Paul et Virginie, Didot, 1806.djvu/77

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déjà au sein de ses marais saumâtres des colonies florissantes d’Européens, jadis les fléaux de leur patrie : dans toutes les mers, des foules d’isles naissantes et de rochers à demi submergés soulevent, à travers les vagues irritées, leurs têtes noires couronnées de fucus, de glayeuls, et de varechs. À leurs couleurs brunes et empourprées, à leurs bruits confus et rauques, aux nappes d’écume qui bouillonnent autour d’eux, on diroit de vieux tritons qui se disputent avec fureur de jeunes néréides. Un jour, ces écueils, si redoutables aux marins, offriront des asiles aux bergeres ; après de nombreuses tempêtes, le détroit qui sépare l’Angleterre de la France se changera en guérets. Après d’interminables guerres, les Anglais et les Français verront leurs intérêts réunis comme leur territoire.

Il en sera de même du genre humain. Dieu l’a destiné à jouir de ses bienfaits par tout le globe. Il en a fait un petit monde où il a renfermé tous les désirs et les besoins des êtres sensibles. Il l’a formé comme un seul homme qu’il fait d’abord passer par l’enfance, entouré d’une nuit d’ignorance et de préjugés, mais dont il aimante la tête de la lumiere de la raison, et le cœur de l’instinct de la vertu, afin qu’il puisse gouverner ses passions et se diriger vers ces facultés divines, comme le globe qu’il habite autour du soleil. Il voulut que ces dons célestes ne se développassent dans les nations, comme dans les individus, que par leur expérience et celle de leurs semblables. Il voulut même que