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sent autour de sa base en hautes gerbes d’eaux noires et bouillantes. Ses fondements caverneux s’affaissent sur leurs propres piles, glissent, et s’écroulent en énormes rochers dans le sein des mers qu’ils menaçoient d’envahir. Les bruits affreux de leurs chûtes, les sombres murmures de leurs torrents, les rugissements des phoques et des ours marins qui les habitoient, sont répétés au loin par les échos d’Horrillax et du Vaigaths. Les peuples riverains de l’Atlantique voient avec effroi ces glaciers terreux voguer, renversés, le long de leurs rivages. Entraînés par leurs propres courants, sous les formes fantastiques de temples, de châteaux, ils vont rafraîchir les mers torridiennes, et fonder, dans leurs flots attiédis, des écueils que l’hiver suivant ne reverra plus.

Cependant la montagne dessolée apparoît, à travers les brumes de ses neiges fondues et les dernieres fumées de ses volcans, nue, hideuse, ses collines dégradées et montrant à découvert ses antiques ossements. C’est alors que les zéphirs, qui l’ont dépouillée du manteau des hivers, la revêtissent de la robe du printemps. Ils accourent en foule des zones tempérées, portant sur leurs ailes les semences volatiles des végétaux. Ils tapissent de mousses, de graminées, et de fleurs, ses flancs déchirés et ses plaies profondes. Les oiseaux de la terre et des eaux y déposent leurs nids. En peu d’années, de vastes bosquets de cedres et de bouleaux sortent de ses crateres éteints.