Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/100

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tenant un des plus considérables bijoutiers de Paris.

L’accroc à ma robe fut vite raccommodé et, sachant que ma robe était trop cuite, je la traitai avec respect.

Enfin, nous partîmes, Mlle de Brabender, Mme Guérard et moi, dans un petit fiacre à deux places ; et j’étais heureuse que ce fiacre fût si petit, car je me tenais blottie entre ces deux tendresses, ma robe trop cuite étalée délicatement sur leurs genoux.

Quand j’entrai dans la salle d’attente qui précède la salle d’auditions, il y avait déjà une quinzaine de jeunes gens et une vingtaine de jeunes filles qui, toutes, étaient accompagnées de mère, père, tante, frère ou sœur, etc.

Une odeur de moelle de bœuf à la vanille me saisit à la gorge et me donna un haut-le-cœur.

Quand la porte s’ouvrit pour me livrer passage, tous les regards convergèrent vers moi, et je me sentis rougir jusqu’à l’occiput. Mme Guérard m’entraîna doucement, et je me retournai, cherchant la main de Mlle de Brabender. Elle avançait timidement, plus rouge que moi, plus embarrassée encore. Tout le monde la regardait, et je voyais les jeunes filles se pousser le coude et la désigner de la tête. Une jeune fille se leva d’un bond pour courir vers sa mère : « Ah ! chouette ! regarde le vieux tableau ! »

Ma pauvre institutrice se sentait mal à l’aise, moi je devenais colère. Je la trouvais mille fois mieux que toutes ces grosses mères empanachées et communes. Bien sûr, elle ne ressemblait pas à tout le monde, Mlle de Brabender, avec sa robe saumon, son châle des Indes très serré aux épaules, retenu devant par un camée très large, et son chapeau dont le tour de tête était fait de ruches si serrés qu’on eût dit une coiffe