Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/102

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car j’étais, hélas ! de santé très délicate. Elle me fit asseoir et me mit quelques gouttes d’eau de Cologne derrière les oreilles.

« Pan ! ça t’apprendra à cligner de l’œil comme ça ! » Et une gifle formidable s’abattit sur le plus joli visage qu’il fût possible de voir. C’était la mère de Nathalie Manvoy qui venait de frapper sa fille.

Je m’étais dressée, tremblante de peur, d’indignation, courroucée comme un coq. Je voulais qu’on rendît la gifle à la vilaine femme. Je voulais aller embrasser la jolie tête offensée par le soufflet ; mais je me sentis énergiquement retenue par mes deux gardiennes.

Dica-Petit sortant de la salle d’auditions changea le cours des idées de tout ce petit monde. Elle était rayonnante et contente d’elle. Oh ! très contente. Son frère lui tendit une petite gourde dans laquelle se trouvait je ne sais quel cordial (et j’en aurais bien voulu, car j’avais la bouche sèche et brûlante). Sa mère lui mit un petit carré de laine sur la poitrine avant d’attacher son manteau ; et tous trois disparurent.

D’autres jeunes filles et jeunes garçons furent appelés avant que vint mon tour.

Enfin, l’appel de mon nom me fit sursauter, telle une sardine poursuivie par un gros poisson. Je secouai ma tête pour rejeter mes cheveux en arrière. « Mon petit’dame » tapota ma soie trop cuite. Mlle de Brabender me recommanda bien les o, les a, les r, les p, et les t ; et j’entrai toute seule dans la salle.

Je n’avais jamais été seule une heure dans ma vie. Petite enfant, toujours cramponnée aux jupes de ma nourrice ; au couvent, toujours collée à une amie ou à une sœur ; à la maison, toujours entre Mlle de Brabender