Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/110

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mais c’est Guérard… Je suis furieuse contre elle… Sois gentille, maman, fais comme si tu ne savais rien. Ferme la porte. Je vais sonner. »

Et je sonnai. Et Marguerite ouvrit. Et maman vint. Et elle fit l’étonnée. Et mes sœurs. Et mon parrain. Et ma tante… Et quand j’embrassai maman en criant : « Je suis reçue ! » tout le monde s’exclama avec joie. Et je redevins gaie. J’avais quand même fait un effet. C’était la carrière qui prenait possession de moi sans que je m’en doutasse.

Ma sœur Régina, qu’on n’avait pas voulu garder au couvent et que les sœurs avaient renvoyée à maman, se mit à danser la bourrée. Elle avait appris cette danse en nourrice et la dansait à tout propos, puis finissait toujours par ce petit couplet :

Mon p’tit venir’ ’éjouis toi,
Tout ce ze gagn’ est pou’ toi…

Et rien n’était plus comique que cette grosse pouponne, à l’air sérieux.

Ma sœur Régina n’a jamais ri ; à peine un sourire entr’ouvrait ses lèvres minces et détendait sa bouche trop petite. Oui, rien n’était plus comique que de la voir grave et brutale, dansant la bourrée. Ce jour-là elle fut plus drôle que jamais, car elle était excitée par la joie générale.

Elle avait quatre ans, et rien ne la gênait. Elle était sauvage et effrontée. Elle détestait la société, le monde. Et, quand on l’amenait de force dans le salon, elle gênait tout le monde par ses propos crus, baroques, et par ses réponses brutales et ses coups de pied et ses coups de poing. C’était une enfant terrible, avec des cheveux d’argent, un teint nacré, des yeux bleus trop