Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/116

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Je me sentais donc le droit de refuser. Mon avenir se révélait. Et, par conséquent, ma mère n’aurait besoin de rien dans le cas où elle viendrait à perdre sa rente.

En effet, quelques jours après mon concours, M. Régnier, professeur au Conservatoire et sociétaire de la Comédie-Française, vint demander à ma mère si elle consentirait à me laisser jouer au Vaudeville une pièce de lui (Germaine). Les directeurs me donneraient vingt-cinq francs par représentation.

J’étais éblouie, sept cent cinquante francs par mois, pour mon premier début. J’étais folle de joie.

Je suppliai ma mère d’accepter les propositions que me faisait le Vaudeville. Elle me dit d’agir à ma guise.

Je demandai audience à M. Camille Doucet, directeur des Beaux-Arts.

Maman refusant toujours de m’accompagner, Mme Guérard vint avec moi. Ma petite sœur Régina me supplia de l’emmener, j’y consentis. Et j’eus bien tort, car nous n’étions pas installées dans le cabinet directorial depuis cinq minutes, que ma sœur, qui avait alors cinq ans, grimpait sur les meubles, sautait à pieds joints au-dessus d’un tabouret, et finalement s’asseyait par terre, attirant à elle la corbeille à papiers placée sous le bureau en répandant tous les papiers déchirés qu’elle contenait. Ce que voyant, Camille Doucet lui fit doucement la remarque qu’elle n’était pas une petite fille très sage.

Ma sœur, la tête plongée dans la corbeille, lui dit de sa voix rauque : « Toi, Monsieur, si tu m’embêtes, je dirai à tout le monde que t’es un donneur d’eau bénite vinaigrée. — C’est ma tante qui dit ça ! »

Mon visage s’empourpra de honte et je balbutiai :