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Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/131

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second prix de comédie. Parfouru est aujourd’hui M. Paul Porel, le directeur du théâtre du Vaudeville et le mari de Réjane.

Puis vint le tour des jeunes filles.

Je me tenais dans l’embrasure de la porte, toute prête à m’élancer sur la scène.

« Premier prix de comédie… » Je fis un pas en avant, repoussant une grande jeune fille qui me dépassait de la tête… « Premier prix à l’unanimité : Mademoiselle Marie Lloyd ! »

Et la grande jeune fille repoussée par moi s’élança, svelte et radieuse, sur la scène.

Il y eut quelques protestations. Mais sa beauté, sa distinction, son charme timoré eurent raison de tout et de tous. Et Marie Lloyd fut acclamée.

Elle passa près de moi et m’embrassa tendrement. Nous étions très liées. Et je l’aimais beaucoup ; mais je la considérais comme une élève nulle. Je ne sais plus si elle avait eu une récompense l’année précédente, mais personne ne s’attendait à son prix. J’étais pétrifiée.

« Second prix de comédie : Mademoiselle Bernhardt ! » Je n’avais pas entendu. On me poussa en scène et, pendant que je saluais, je voyais des centaines de Marie Lloyd qui dansaient devant moi : les unes me faisant la grimace, d’autres m’envoyant des baisers ; les unes s’éventaient, les autres saluaient. … Elles étaient grandes… grandes… toutes ces Marie Lloyd… elles dépassaient le plafond ; elles marchaient sur les têtes ; et elles venaient vers moi, me serrant, m’étouffant, m’écrasant le cœur. J’avais, paraît-il, le visage plus blanc que ma robe.

Rentrée dans la coulisse, je m’assis sur la banquette sans mot dire et je regardai Marie Lloyd très entourée,