Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/16

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Et, quarante-deux jours après, maman ramenait triomphalement la nourrice, le père nourricier et moi, dans la bonne ville de Paris, où elle nous installa à Neuilly, dans une petite maison au bord de la Seine. Je n’avais pas une cicatrice, parait-il. Rien, rien, que la peau d’un rose trop vif. Ma mère, heureuse et confiante, repartit pour ses voyages, me laissant de nouveau à la garde de mes tantes.


Deux ans s’écoulèrent dans ce petit jardin de Neuilly qui était tout plein de dahlias horribles, serrés et coloriés comme des balles de laine. Mes tantes ne venaient jamais. Maman envoyait argent, bonbons, jouets.

Le père nourricier mourut. Et ma nourrice épousa un concierge qui tirait le cordon au no 65, rue de Provence. Ne sachant pas où trouver maman et ne sachant pas écrire, ma nourrice ne prévint personne et m’emmena dans son nouveau local. J’étais ravie du déménagement. J’avais alors cinq ans, et je me souviens de ce jour comme je me souviens d’hier.

Le logis de ma nourrice se trouvait juste au-dessus de la porte cochère ; et la fenêtre en œil-de-bœuf se trouvait encadrée dans la porte lourde et monumentale. Je trouvais cela beau du dehors, et je me mis à battre des mains en arrivant devant cette grande porte. C’était à l’heure grise, vers les cinq heures, un jour de novembre.

On me mit dans mon petit lit, et je m’endormis sans doute, car pour ce jour mes souvenirs s’arrêtent là.

Le lendemain, je fus prise d’un chagrin effroyable : la petite chambre où je couchais était sans fenêtre. Et je me pris à pleurer. Je m’échappai des bras de ma nourrice qui m’habillait, pour aller dans la pièce à côté. Je courus à la fenêtre ronde. Je collai mon petit front